Retrouver le plaisir d’achat
Le secteur du retail connait une véritable révolution depuis ces dernières années. Plusieurs grands changements ont transformé nos commerces
d’aujourd’hui.
Ces changements sont les suivants : la transformation digitale avec une présence sur les réseaux sociaux, de nouveaux usages de consommation plus responsables et circulaires, un retour du lien et de la proximité, de l’accompagnement et du conseil du retailer à son client, mais aussi la métamorphose des lieux physiques en véritables lieux d’expérience de marque et de plaisir en phase avec leur environnement local. L’éco-conception est au cœur de chaque concept. Au lieu de refaire entièrement une boutique, on prône le réemploi et le retail staging pour revoir le concept sans tout refaire. La modularité des usages, des formats et du design est devenue un mot d’ordre. Les lieux sont plus lifestyle.
Compte tenu de la situation économique en France, les enseignes avec des « prix bas » prospèrent. Leur concept retail, ce sont des entrepôts impersonnels en self-service. Les consommateurs ne ressentent plus de plaisir en faisant leurs courses. Mais alors, comment le retail peut-il redevenir attractif et redonner envie aux clients de fréquenter leurs boutiques ?
MV Design est une agence de design reconnue pour son savoir-faire en retail design (70 % de son chiffre d’affaires) avec le conseil stratégique, l’architecture intérieure et le branding. Elle est dirigée par trois associés : Philippe de Mareilhac, Emma Brouder et Jean-François Trouvé. Nous avons rencontré Philippe de Mareilhac qui est en veille constante. Il est le meilleur interlocuteur que l’on puisse trouver pour nous attirer l’attention sur les nouvelles tendances et concepts du retail. Tout récemment, il a effectué un tour d’horizon aux USA. Nous lui avons demandé de nous y emmener en nous partageant ses découvertes. Même si Séoul ou la Chine sont les destinations phares du moment, NY reste une ville très inspirante. Philippe de Mareilhac a eu quelques coups de cœur lors de son voyage américain. Pour lui, ces derniers incarnent un exemple de ce qui se fait de mieux en retail.
Le premier : Tin Building.
À Manhattan, place de l’historique Seaport, au bord de l’East River, Tin Building est la destination « Food par Excellence ». L’enseigne est installée dans un magnifique bâtiment offrant une vue sur les ponts de la ville. Le lieu raconte l’histoire du commerce et favorise les échanges.
Dans ce grand food hall, se côtoient restaurants et de très bons commerces de bouche. Le design est très travaillé voire luxueux. Une attention est portée à la signalétique, aux matériaux et aux différentes ambiances. Le merchandising est hyper « gourmand ». Il donne très envie et il est difficile de résister longtemps. Tin Building est un lieu prisé le week-end par les New-Yorkais.
Le second : Van Leeuwen.
On trouve le glacier en traversant le Brooklyn Bridge. Pour Philippe de Mareilhac, il incarne la marque instagrammable par excellence. La boutique est installée au pied du pont et prend place dans une ancienne station de bateaux-pompes. Véritable spot pour les réseaux ! L’architecture donne un côté « candy bar » au lieu. La coque est travaillée avec des moulures et une peinture rose.
Dans le jargon professionnel, le tone of voice est la manière, le style avec lesquels la marque communique avec le public. Chez Van Leeuwen, le tone of voice gourmand et décalé est ponctué par des petits clins d’œil disséminés dans les espaces. Ils animent le parcours client. Le storystelling de la marque est très élaboré. Il rappelle que celle-ci est née dans un camion qui campait sous le pont de Brooklyn. La marque propose des glaces véganes. Les packagings sont magnifiques. Un espace goodies permet de ravir les aficionados de la marque et d’entretenir la communauté J.
Troisième : Vans Williamsburg.
Le quartier branché de Brooklyn est l’endroit où toutes les enseignes veulent être. Vans est la quintessence du concept lifestyle au service d’une marque puisant tous ses codes dans son ADN… le skate.
Dès l’entrée, une immense vitrine très retail met en avant produit / visuel. L’ambiance est celle d’un loft cosy américain. On a un espace avec une grande hauteur sous plafond, des photos d’architecture, de confortables fauteuils stylés, de la végétation… Les produits sont répartis dans toute la boutique avec une mise en scène très lifestyle. À la caisse, on peut admirer de belles planches de skate. On a même un espace dédié à la collaboration du moment avec une star du skate.
Quatrième : Petco.
À Manhattan, plus exactement à Union Square, une enseigne incarne complètement la dimension service d’un concept : Petco. C’est le grand magasin dédié aux propriétaires d’animaux de compagnie, appelés les pet parents.
Chaque service dispose d’un corner et détourne un univers de référence. On a Ruff’s Barber Shop, le salon de toilettage avec tous les codes du barbier. L’ambiance est traditionnelle avec du bois, laiton, miroirs ronds et lumineux, des photos en noir et blanc. Just Food For Dogs est le lieu dédié à l’alimentation. Avec des armoires réfrigérées, un comptoir de préparation pour mettre en valeur la fraîcheur des recettes. On y goûte même des friandises.
Le côté santé est aussi intégré dans le concept avec la clinique Vetco Total Care, son secrétariat médical et une équipe de vétérinaires à disposition. Pour immortaliser des moments de partage et de complicité avec nos animaux de compagnie, le Shop Reddy by Petco propose un photomaton, un miroir « Looking Good » à hauteur canine qui rappelle le mantra de Glossier, ou encore un atelier de personnalisation…
Le parcours prend aussi en compte les « oublis » de nos fidèles compagnons, en mettant à disposition spray et lingettes en cas d’accident.
Le cinquième : Grocer.
Le pop-up Grocer se définit comme LA destination dédiée à la découverte de nouveaux articles d’épicerie dénichés auprès de marques émergentes.
Si l’enseigne s’est initialement fait connaître en ouvrant des adresses éphémères, la toute première adresse pérenne a enfin ouvert ses portes, au 205 Bleecker street, à Greenwich Village.
Une fois à l’intérieur, le design d’inspiration retro nous projette dans une supérette des années 1950. Sol carrelé noir & blanc, simples étagères murales, prix étiquetés directement sur les produits. Ici, c’est très facile de s’imaginer jouer à la marchande ! Deux éléments retiennent particulièrement l’attention.
D’une part, le grand comptoir central, tout en courbes, qui assure les fonctions d’accueil, d’encaissement et de pôle café. D’autre part, le design graphique et ses couleurs primaires qui donnent immédiatement de la personnalité et un caractère ludique à l’endroit.
Une attention est portée à la signalétique des univers, plus amusants et moins descriptifs que d’ordinaire, puisque les produits dénichés par l’enseigne sont rangés dans des univers amusants tels que « saucy & spicy », « puffs & crunchs », « bites & chews ». La promesse est tenue : « grocery shopping, but make it fun ». En français : « faire ses courses en s’amusant ».
Le sixième : Reformation.
Au cœur de SoHo, il est possible de tester le parcours digital de l’enseigne de prêt-à-porter Reformation, dont le dernier flagship a ouvert en juillet.
Passée la sublime façade monochrome jaune, on entre dans un magasin à première vue traditionnel. La collection de vêtements est présentée sur des tables et portants, il y a des miroirs, un espace doté d’un canapé pour l’offre de chaussures et un salon d’essayage. Toutefois l’expérience est plus riche qu’il n’y paraît.
L’espace d’essayage situé au fond du magasin comporte douze cabines, auxquelles les équipes de vente peuvent accéder par l’arrière, via des armoires à double-fond.
Côté client, on s’adresse à un(e) conseiller(ère) qui enregistre les vêtements choisis sur une tablette et prépare la cabine avec les articles souhaités. Une fois à l’intérieur de la cabine, un écran tactile permet de naviguer dans l’offre et de sélectionner de nouvelles pièces (pour compléter un look ou essayer une autre taille). « L’armoire magique » est réassortie en quelques minutes.
Pour le rendu et le confort, l’intensité lumineuse de la cabine peut être modulée. Ce concept hybride, entre un look & feel façon Sézane et la technologie de Amazon Style, donne à voir une façon innovante de repenser l’expérience retail dans la mode.
Le septième : Starbucks Reserve Roastery.
Même si les magazines l’ont beaucoup montré en photo, il faut vraiment y aller pour ressentir la force physique du concept. Car le flagship de Meatpacking est le symbole par excellence de l’expérience de marque.
Philippe de Mareilhac précise qu’on y retrouve tous les marqueurs de l’expérience retail. Starbucks étant un coffee shop avant tout, on a deux grands bars pour la dégustation. On y achète des goodies qui déclinent les codes de la marque et la dimension locale NYC. Un espace de vente en vrac est proposé pour personnaliser son blend.
Tout est pensé pour mettre en condition les clients. Des viennoiseries sortent en continu de grands fours. Un bar à cocktail offre une autre expérience du café avec la découverte d’associations inattendues, offrant ainsi une occasion de démultiplier les modes de consommation. La pièce maîtresse des lieux est une immense machine de torréfaction comme dans Charlie et la chocolaterie, qui brasse les grains et les effluves de café grillé.
En résumé, pour Philippe de Mareilhac, ces sept concepts ont en commun de créer des lieux marquants et vivants qui valorisent le produit, tout en offrant une expérience qui va bien au-delà. Ils sont marquants parce qu’ils sont audacieux et puissants, avec un design recherché et sophistiqué au service de la marque. L’expérience commence avec la beauté du décor, du lieu et tous les codes de la marque sont distillés dans les espaces. Ils sont vivants et dynamiques car tout est pensé pour mettre les équipes en relation avec les clients, créer de l’échange, apporter des services et nourrir la communauté qui gravite autour de la marque.
En misant sur le service, l’humain et l’expérience, le retail mass market américain montre que le shopping doit rester un plaisir et le magasin un lieu attractif. Et c’est là une différence importante avec la France !
Analyse sur le territoire français.
Philippe de Mareilhac approfondit cette remarque en précisant que, depuis quelques années, le critère prix a pris une importance démesurée. Au point que beaucoup de retailers mass market reviennent à des magasins de plus en plus basiques et fonctionnels, où expérience est synonyme seulement d’efficacité. Or, ce désinvestissement dans le retail physique a ses limites. Quand votre magasin s’appauvrit, et qu’il n’est plus qu’un « présentoir » fonctionnel, alors la marque perd progressivement en force. En s’affaiblissant, elle laisse la porte ouverte à de nouveaux concurrents moins chers, qui pourront plus facilement gagner des parts de marché uniquement sur le critère du prix. MV Design a eu l’opportunité de collaborer avec des marques qui ont compris ces enjeux. Et qui ont su concilier beauté de leurs magasins et prix compétitifs, comme Leclerc et Kiabi.
Exemple de Kiabi.
Kiabi est une marque très compétitive en prix mais qui investit dans un concept pour offrir de nouvelles expériences à vivre en famille.
Le centre du magasin est repensé comme un cœur serviciel afin d’enrichir l’expérience client en offrant aux familles un lieu unique qui regroupe l’ensemble des services, au-delà de l’offre classique, avec la mise à disposition de poussettes, un service de prêt d’objets du quotidien, des conseils sur la mode et l’entretien des produits, un espace don et recyclage et un espace dédié à l’animation des communautés en magasin. Cet espace abrite également un coin atelier, pour des animations régulières à destination de la communauté de clients Kiabi comme par exemple : live shopping, coaching mode, partage entre parents, ateliers activités pour enfants…
Kiabi a aussi choisi de transformer l’expérience d’essayage avec des cabines connectées permettant de faire appel à un « kiaber » pour bénéficier de conseils, compléter une tenue, demander une taille complémentaire, consulter le stock disponible. Il existe également des cabines réservables, des cabines « Famille » pour vivre un moment shopping plaisir à plusieurs, sans oublier des cabines express directement dans les rayons.
Mais le concept est aussi allé très loin sur le parcours omnicanal avec le click & collect, la e-réservation ou encore le retour facilité. Il en est de même avec la durabilité, en offrant de la seconde main à petits prix ou en communiquant sur les engagements de l’enseigne. Avec ce concept, Kiabi démontre qu’on peut concilier des prix bas et une expérience marquante en point de vente.
Merci à Philippe de Mareilhac d’avoir été notre guide dans cet article. Merci pour son expertise et son savoir-faire. En conclusion, il s’agit pour la bonne santé de nos commerces, de prendre conscience là aussi des dangers de la paupérisation du marché et de l’appauvrissement concept des magasins.
Il faut réinvestir dans l’humain, la relation, le service et l’expérience. Le commerce, c’est la vie, dans nos centres commerciaux, et au cœur des villes !